jeudi 21 septembre 2017

Un rempart contre l'hyperinflation

Dès 2013, le bitcoin commence à être perçu comme une valeur refuge dans des pays en proie à une hyperinflation galopante de leur monnaie, comme l'Iran, l'Argentine, le Zimbabwe ou le Venezuela. En raison des sanctions économiques et financières imposées par les États-Unis et leurs alliés à l'Iran, afin de contraindre le pays à mettre fin à son programme d'enrichissement d'uranium, le rial iranien ne cesse de se déprécier face au dollar depuis l'automne 2011. La monnaie iranienne a perdu 80 % de sa valeur en l'espace d'un an. Si le taux de change officiel de la Banque centrale iranienne est de 12 260 rials pour un dollar en octobre 2012, le billet vert américain s'échange autour de 27 000 rials au marché noir, après avoir atteint 35 600 rials pendant l'été.

Alors que les sanctions prises contre l'Iran après la révolution de 1979 ciblaient essentiellement les investissements dans le pétrole et le gaz ou l'exportation de produits raffinés, elles ont été étendues pour la première fois aux transactions bancaires et financières. Ces sanctions économiques et financières sophistiquées, « les plus punitives » jamais imposées à l'Iran selon le département d’État américain, sont au cœur de la nouvelle stratégie de guerre financière mise en œuvre depuis le 11 septembre 2001 par les États-Unis, pour isoler les États scélérats, les groupes terroristes et les organisations criminelles du système financier international et du commerce mondial. Avant l'Iran, Al Qaeda, la Corée du Nord ou l’Irak ont eu à subir les effets dévastateurs de cet assaut financier ciblé.


L'objectif des États-Unis, qui peuvent jouer de leur suprématie économique et de celle du dollar dans les échanges internationaux, est clairement de détruire la monnaie iranienne. De lourdes pénalités sont imposées aux institutions bancaires étrangères qui autorisent encore les transactions en rials. En parallèle, les avoirs iraniens à l'étranger sont gelés. En mars 2012, dix-neuf banques iraniennes et vingt cinq institutions affiliées, soupçonnées de soutenir les activités nucléaires de la République Islamique, sont déconnectées du réseau international de compensation interbancaire SWIFT. Ainsi mis au ban de l'économie mondiale, le pays voit ses exportations de pétrole s'effondrer. Les pétrodollars ne viennent plus irriguer l'économie locale. Les réserves de la Banque centrale iranienne fondent comme neige au soleil.

Pour les ressortissants Iraniens, l'achat de bitcoins sur Internet devient un moyen inespéré de faire sortir leurs économies du pays. Dès l'été 2013, le site CoinAva, basé en Australie, leur permet d'acheter des bitcoins avec des rials, qui peuvent être conservés ou convertis ensuite en dollars. Les volumes d'échange sont insignifiants à l'échelle du réseau Bitcoin, mais une brèche vient de s'ouvrir dans l'arsenal de guerre financière des États-Unis et de leurs alliés. Jeremias Kangas, fondateur de la plateforme d'échange de bitcoins finlandaise Localbitcoins.com, qui permet elle aussi aux iraniens d'acheter des bitcoins, en est convaincu : « Le bitcoin est, ou deviendra dans un futur proche, un excellent moyen pour les individus de se soustraire aux sanctions économiques, aux restrictions monétaires et à l'hyperinflation dans des pays comme l'Iran ». Selon l'analyste financier américain John Ubele, qui se confie à CoinTelegraph, la tolérance manifeste des autorités iraniennes à l'égard de la crypto-monnaie "laisse entrevoir la possibilité, dans les années qui viennent, que l'équivalent de centaines de millions ou peut-être de milliards de dollars en bitcoins viennent abonder l'économie iranienne".

En Argentine, les conséquences de la violente crise économique traversée par le pays au tournant du siècle se font toujours sentir au début des années 2010. En 2013, le taux d'inflation non officiel du peso, après sa dévaluation spectaculaire de 2002, est toujours de l'ordre de 25 %. Plus personne n'a confiance dans la monnaie nationale. Les restrictions monétaires imposées par le gouvernement argentin, pour endiguer une fuite des capitaux évaluée à une vingtaine de milliards de dollars par an, interdisent désormais aux Argentins d'acheter des dollars pour préserver la valeur de leurs avoirs, sinon au marché noir. Tout un marché parallèle de devises étrangères s'est développé - ses traders, appelés "arbolitos" (arbustes), réalisant des opérations de change à domicile dans les "cuevas" (caves). Mais pour un cercle de plus en plus large d'initiés, acheter des bitcoins devient un moyen plus simple et moins périlleux de se protéger contre le risque d'hyperinflation.

« Certains Argentins sont prêts à réaliser des investissements très risqués et à parier sur ce qui ressemble presque à un schéma de Ponzi, parce que les alternatives qui s'offrent à eux localement sont encore plus dangereuses », confie alors à Bloomberg Claudio Loser, un économiste argentin qui fut directeur du Fond monétaire international. «  J'ai été frappé par la vitesse à laquelle les Argentins se sont intéressés au bitcoin, indique de son côté l'économiste américain Tuur Demeester, qui prodigue ses conseils en investissement sur la toile, et a découvert la crypto-monnaie lors d'un séjour effectué en Argentine pour ses recherches. Même les chauffeurs de taxi me demandent où ils peuvent en trouver et en acheter. On ne rencontre un tel intérêt nulle part ailleurs. La demande est vraiment très forte en Argentine, où il est impossible de préserver son pouvoir d'achat dans la monnaie locale. » 

Entre le mois de février et le mois de mai 2013, le volume d'échange de pesos argentins en bitcoins fait plus que doubler. De nombreuses rencontres informelles s'organisent dans la capitale à Buenos Aires, des « meet-up » au cours desquels des particuliers viennent échanger des bitcoins avec leurs tablettes numériques. Il n'y a pas vraiment d'autres moyens d'acheter des bitcoins en Argentine. Transférer de l'argent depuis un compte bancaire argentin vers une plateforme d'échange étrangère par virement est pratiquement impossible. Quant aux paiements par carte bancaire sur Internet, ils sont surtaxés de 20 %. « Stocker de l'argent dans le nuage d'Internet donne aux Argentins les mêmes libertés qu'aux personnes vivant dans des économies plus libres », commente Tuur Demeester. La crainte d'un nouveau défaut de paiement sur la dette extérieure du pays, comme celui intervenu fin 2001, qui avait vu le peso dévalué de 1000 %, accentue cet appel d'air.

Dans un Indice du marché potentiel du Bitcoin rendu public début 2015, lors d'une conférence à Isla Verde (Porto Rico), le chercheur britannique Garrik Hileman, du Centre de finance alternative de l'Université de Cambridge, à Londres, identifie l'hyperinflation et les crises monétaires comme l'un des principaux facteurs favorisant l'adoption de la crypto-monnaie. L'Argentine figure d'ailleurs en tête du top 10 des pays où le potentiel d'adoption du bitcoin est le plus élevé, devant le Venezuela et le Zimbabwe. "Compte tenu des critères de l'indice, il n'est pas surprenant de voir l'Argentine se classer au premier rang, écrit le chercheur. Le pays souffre d'une inflation persistante, a une grande part d'économie informelle, et subit régulièrement des crises financières. L'Argentine a en outre un niveau élevé de pénétration des nouvelles technologies et de contrôle des mouvements de capitaux". À l'instar de l'Argentine, le Venezuela, au deuxième rang, souffre également d'une inflation élevée et de crises financières répétées, tandis que le Zimbabwe, en troisième position, a la plus grande part d'économie informelle (marché noir) de tous les pays dont les données ont été analysées, à hauteur de 63% de son PIB.

En avril 2009, le Zimbabwe est contraint d'abandonner sa propre monnaie, le dollar zimbabwéen, la plus faible monnaie frappée au monde, dont le taux d'inflation annuel atteignait 231 millions pour cent au mois de janvier de la même année, au point de nécessiter la mise en circulation de billets de mille milliards de dollars zimbabwéens. "Les gens ont cessé d'utiliser le dollar zimbabwéen en raison de l'hyperinflation, relate à Cryptocoins News Tawanda Kembo, co-fondateur de BitFinance, l'opérateur de la toute première plateforme d'échange de bitcoins locale, Bitcoinfundi. A l'époque j'étais au collège, et je me souviens que lorsqu'on entrait dans un bar pour boire des bières, si nous avions assez d'argent nous en achetions plusieurs d'un coup [...], car chaque fois que vous vous leviez pour aller au comptoir le prix avait changé. Il pouvait changer plusieurs fois en l'espace de deux heures. L'inflation était devenue folle."

Pour leurs dépenses au quotidien, les consommateurs zimbabwéens peuvent utiliser, en lieu et place de leur monnaie nationale, un panier d'une dizaine de monnaies convertibles circulant librement dans le pays. Il est courant d'acheter un produit en dollars américains, et de se voir rendre la monnaie en rands sud-africains ou en pulas du Botswana. Impossible, en revanche, d'effectuer des paiements à l'international. Les banques du Zimbabwe, insuffisamment dotées en fonds propres, ne disposent pas de comptes en devises locales dans les banques étrangères, qui servent à faciliter les transferts internationaux. Il était également impossible ou presque, avant le lancement de la plateforme de change BitcoinFundi en décembre 2014, de se procurer des bitcoins dans le pays.

Grâce au bitcoin, les Zimbabwéens peuvent recommencer à importer des voitures japonaises, et à acheter des produits étrangers sur Internet. BitFinance a même été approchée par le gouvernement zimbabwéen pour effectuer un paiement international de plusieurs millions de dollars en bitcoins, requête à laquelle la compagnie n'a pu répondre. "Notre plus grand défi est la liquidité, tant que nous n'avons pas plus de bitcoins en circulation, explique Tawanda Kembo. Nous ne pouvions pas réunir les millions dont avait besoin le gouvernement pour réaliser son opération."  D'autres plateformes d'échange pan-africaines sont désormais présentes au Zimbabwe, comme BitMari. Et la communauté Bitcoin ne cesse de s'étendre au delà des premiers enthousiastes. De quelques dizaines au mois de janvier 2016, le nombre d'utilisateurs de Bitcoinfundi est passé à plusieurs centaines au mois de novembre de la même année, et le montant mensuel des échanges de 750 dollars à 31 000 dollars.

Au Venezuela, la situation économique et politique s'est gravement détériorée depuis la parution de l'indice de Garrik Hileman. Le taux d'inflation annuel se rapprochait de 2000 % au début de l'été 2017. Début août, le bolivar vénézuélien valait deux fois moins que la monnaie virtuelle du jeu vidéo World Of Waircraft. En plein marasme économique, et en proie à des troubles et des violences politiques qui ont fait plusieurs dizaines de morts, le pays a vu sa devise perdre 99,7 % de sa valeur depuis l'arrivée au pouvoir de Nicolas Maduro en avril 2013. Afin de survivre, des milliers de vénézuéliens se sont tournés vers une activité plus que lucrative, dans un pays où la fourniture d'électricité est l'une des plus subventionnée au monde : le minage de bitcoins.

Miner des bitcoins requiert une forte puissance de calcul très consommatrice en électricité. C'est le principal centre de coût des fermes de minage. Au Venezuela, où l'électricité est virtuellement gratuite, grâce au contrôle des prix exercé par le gouvernement socialiste, miner revient à créer gratuitement de la monnaie. Ricardo, un professeur de photographie de 30 ans qui témoigne sous pseudonyme dans les colonnes du magazine américain Reason, confie gagner 500 € par mois avec un rack de cinq matériels de minage caché dans une pièce insonorisée de la maison familiale. Les fractions de bitcoins qu'il gagne lui permettent d'acheter les médicaments dont a besoin sa mère à l'étranger. Avec ses gains de mineur, Alejandro, 25 ans, fait des courses sur le site Wallmart.com aux Etats-Unis pour toute sa famille, avec une carte pré-payée qu'il peut alimenter en bitcoins et qui lui permet de payer en dollars.

Alberto et Luis, deux autres mineurs cités par Reason, dont les installations rapportent 1200 dollars par jour, importent régulièrement de la nourriture depuis les Etats-Unis via le service Prime Pantry d'Amazon. Mais miner des bitcoins devient dangereux au Venezuela. Repérés grâce à leur surconsommation électrique, dans un pays où les coupures d'électricité sont monnaie courante, de nombreux mineurs de bitcoins ont été arrêtés et leur matériel saisi sous des prétextes fallacieux, de vol d'énergie ou de recel de contrebande, lorsque leur matériel de minage a été importé de Chine sans autorisation officielle. Les policiers de la SEBIN, le service de renseignement vénézuélien, rackettent parfois les mineurs. "Beaucoup de mineurs de bitcoins deviennent complètement paranoïaques", témoigne l'un d'eux, qui a cessé toute activité, et se contente désormais de spéculer à court terme sur le bitcoin.

Depuis 2016, le nombre de raids et d'arrestations est en constante augmentation. Miner des bitcoins n'est pas officiellement interdit au Venezuela. Mais en acheter sur SurBitcoin est manifestement moins périlleux. La plateforme d'échange, qui enregistre 1200 transactions par jour, ne cesse de monter en puissance. Ses volumes d'échange ont été multipliés par trois en 2016. Un de ses employés a été arrêté pour blanchiment d'argent, puis incarcéré et libéré au bout de sept mois d'emprisonnement. Mais le gouvernement n'a pas fait fermer la plateforme. "Beaucoup de membres du gouvernement sont nos clients", confie son fondateur Rodrigo Souza à The Atlantic. Ceci explique peut-être cela.

2 commentaires:

  1. 01/10/2017 Bitcoin Prices Skyrocket to $7200 on Zimbabwean Exchange During Economic Turmoil
    https://news.bitcoin.com/bitcoin-prices-skyrocket-on-zimbabwean-exchange-during-economic-turmoil/

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  2. 21/11/2017 Zimbabwe and hyperbitcoinization
    https://jpkoning.blogspot.fr/2017/11/zimbabwe-and-hyperbitcoinization.html

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